Description
Le bœuf musqué (Ovibos moschatus) vit dans la toundra arctique canadienne. Son garrot prononcé et sa longue robe noire, qui font paraître ses pattes encore plus courtes, le font à première vue ressembler au bison. En réalité, il s’apparente davantage aux mouflons et aux chèvres.
Bien qu’ils ne soient pas très grands — le garrot d’un mâle arrive environ à la poitrine d’un homme — les bœufs musqués, avec leur constitution massive et compacte, sont assez lourds. Selon les quelques données disponibles sur le poids des bœufs musqués sauvages, les mâles adultes pèsent de 270 à 315 kg, et les femelles, environ 90 kg de moins. Ce mammifère, qui se déplace habituellement à pas lents et mesurés, peut aussi au besoin courir et grimper avec beaucoup d’agilité.
Le mâle et la femelle du bœuf musqué portent tous deux d’impressionnantes cornes. Celles-ci dessinent d’abord une courbe descendante en direction de la face, puis se dirigent vers l’extérieur et remontent en extrémités effilées. Chez les mâles, les bases de chaque corne s’avancent sur le front et se rencontrent pour former une bosse dure de corne et d’os d’une épaisseur pouvant atteindre 10 cm. Les cornes moins massives mais tout aussi pointues des femelles sont séparées par une bande de fourrure sur le front. Une glande préorbitaire à sécrétion odorante, à peine visible, car elle est presque entièrement recouverte de fourrure, est présente en avant de chaque œil.
C’est dans une large mesure grâce à son extraordinaire manteau que le bœuf musqué n’est pas incommodé quand la température descend sous -40 oC et que la poudrerie, soufflée par des vents violents, fait rage. Ce manteau se compose d’une toison laineuse isolante, en contact avec la peau, recouverte de grands poils ou jarres. Sa laine, ou qiviut, est plus forte et huit fois plus chaude que celle des moutons, et plus fine que le cachemire. Aucun mammifère d’Amérique du Nord n’a une robe aussi longue que celle formée par les jarres de la couche externe plus rude qui protège sa toison. Le bœuf musqué a été baptisé omingmak par les Inuits, ce qui signifie « l’animal dont la fourrure est comme une barbe ».
Les bœufs musqués perdent leur toison vers le milieu de l’été. Comme les longs poils protecteurs ne tombent pas tous en même temps, le pelage revêt une apparence hirsute et loqueteuse pendant quelques semaines. Beaucoup de mâles adultes gardent l’année durant des touffes de vieille laine accrochées à leur crinière et à leur robe.
Ses sabots arrondis, bien que moins larges que ceux du caribou, le sont suffisamment pour l’empêcher de s’enfoncer dans la neige molle. Les sabots antérieurs sont plus larges que les postérieurs et lui permettent de creuser la neige en quête de nourriture.
Signes et sons
Durant la période de l’accouplement, les mâles tentent de s’imposer en poussant fréquemment des beuglements sourds menaçants.
Habitat et habitudes
En général, on trouve le bœuf musqué dans les plaines basses intérieures et côtières ou dans les vallées fluviales de l’Arctique, où la végétation arbustive est la plus abondante. Durant les longues journées d’été, les plantes basses poussent rapidement produisant une myriade de fleurs multicolores et un riche fourrage pour le bœuf musqué, le caribou et les lemmings.
Vers la saison de mise bas, les grands troupeaux d’hiver se fractionnent en petits groupes de sept animaux, en moyenne. Durant tout l’été, ces groupes passent en alternance de périodes d’alimentation en périodes de repos. Au repos, le bœuf musqué se couche sur le ventre pour ruminer ou s’étend sur le côté, les pattes allongées, souvent sur des bancs de neige non encore fondus. Les veaux, au lieu de se reposer, se tiennent habituellement en groupes et galopent près des adultes ou s’affrontent pour s’amuser dans des combats de vigoureux coups de tête. Les adultes jouent aussi à l’occasion, particulièrement quand ils traversent des rivières, le plus souvent sautant et tournant en eau peu profonde.
Presque à toutes les époques de l’année, les mâles s’engagent dans des « tête-à-tête » ou dans des batailles plus violentes. Cependant, la fréquence et l’intensité de ces contacts augmentent à la fin de l’été, le vainqueur acquérant ainsi le statut de mâle dominant qui lui permet de régner sur la harde. Un affrontement typique commence par des parades de menaces au cours desquelles les mâles frottent leurs glandes préorbitaires contre le sol ou leurs pattes antérieures, puis avancent à pas mesurés, les cornes pointées vers leur adversaire. Ils reculent alors lentement en balançant la tête puis s’élancent l’un vers l’autre et se rencontrent dans une retentissante collision frontale. Ce choc terrible est absorbé par le crâne et les cornes très épais. Si les deux belligérants sont de force égale, plusieurs assauts ont lieu, et l’issue du combat peut alors dépendre d’efforts moins ritualisés succédant à la charge : poussées de la tête et lutte corps à corps accompagnée de coups de cornes.
Durant l’hiver, les bœufs musqués poursuivent leurs activités quotidiennes en grands troupeaux mixtes. Dans l’extrême arctique, le soleil ne dépasse pas la ligne de l’horizon entre novembre et février. L’hiver arctique est extrêmement long, la température pouvant rester inférieure à -18 oC pendant huit mois. Malgré le froid, le vent et l’obscurité, le bœuf musqué continue de s’alimenter et de se reposer sans rien changer à ses habitudes. Il n’est perturbé dans ses activités que par les tempêtes très violentes durant lesquelles il se couche, dos au vent.
La fin de l’hiver et le début du printemps sont des périodes critiques pour le bœuf musqué. Ses réserves de gras sont faibles ou épuisées, et l’animal peut très bien mourir de faim s’il est vieux, si ses dents sont usées, s’il est infesté de parasites ou encore si les conditions climatiques et du milieu sont défavorables (tempêtes particulièrement violentes et cro?te de neige impénétrable, par exemple).
Caractéristiques uniques
Une relation étroite existe depuis très longtemps entre le bœuf musqué et les populations humaines. Depuis les temps préhistoriques jusqu’à aujourd’hui, ces mammifères à la robe en broussaille ont procuré aux Inuits de la viande, de chaudes couvertures ainsi que des armes et des outils de corne. Se servant de chiens pour les empêcher de fuir, les Inuits profitaient de leur formation de défense (voir figure) pour les abattre de leurs flèches et de leurs lances.
Le bœuf musqué a aussi enrichi l’univers spirituel des Inuits. Une vieille légende des Inuits de l’ouest de la baie d’Hudson raconte que deux bœufs musqués auraient transmis une chanson aux chasseurs. Les deux animaux se seraient dépouillés de leur toison et, tout en la frottant pour l’adoucir, se seraient mis à chanter les louanges de leur contrée. Pendant qu’ils chantaient la beauté de la nature et le soleil qui brillait tout l’été, ils entendirent les aboiements d’une meute de chiens. Rapidement, ils se vêtirent de nouveau et gravirent une colline d’où ils pensaient pouvoir se défendre. Toutefois, peu après avoir atteint le sommet, tous deux se firent abattre par les chasseurs, qui avaient cependant entendu la chanson et la firent leur.
Le moyen de défense des bœufs musqués contre les loups consiste à courir jusqu’à un endroit couvert d’une neige peu profonde ou un terrain élevé et à s’aligner pour faire face aux attaquants. Lorsque les loups les entourent, ils rapprochent leur croupe et forment un cercle serré à partir duquel les adultes, mâles ou femelles, chargent l’ennemi. Lors d’une attaque de loups, les petits rejoignent rapidement leur mère et se pressent contre ses flancs. Faisant face aux attaquants, les adultes, surtout les mâles, frottent vigoureusement leurs glandes préorbitaires contre leurs pattes antérieures. Il semble que ce soit à la fois un geste de menace et un signal d’alarme pour le reste du troupeau.
Aire de répartition
L’étude des fossiles porte à croire que les ancêtres du bœuf musqué ont atteint l’Amérique du Nord par le détroit de Béring il y a environ 90 000 ans et ont survécu aux glaciations, à l’abri des êtres humains préhistoriques, dans les régions libres de glace du Groenland et des îles septentrionales de l’Arctique. Avec le retrait des glaces, l’espèce s’est répandue dans tout le Nord du Canada et au Groenland, puis s’est dirigée vers l’ouest, en Alaska.
De nos jours, on ne rencontre des populations indigènes (non introduites) de bœuf musqué qu’au Groenland (environ 20 000 individus) et dans le Nord du Canada. La majorité des quelque 85 000 bœufs musqués du Canada se retrouvent dans les îles arctiques, en particulier les îles Banks et Victoria. La population continentale, qui est d’environ 14 000 individus, vit dans la région du golfe de la reine Maud, au nord du Grand lac de l’Ours, et dans le nord-est du district du Keewatin. Il y a aussi une population introduite qui vit en liberté au Québec. De plus, des bœufs musqués qui ont été introduits en Alaska séjournent régulièrement dans le Nord du Yukon. Enfin, d’autres populations ont été introduites dans le Svalbard (groupe d’îles au nord de la Norvège), dans l’Ouest du Groenland, en Norvège et en Russie.
Alimentation
Sur le continent, les bœufs musqués se nourrissent surtout de saules arbustifs qui poussent le long des rivières, où ils peuvent mieux se protéger des moustiques et des mouches piqueuses qui s’attaquent à leurs yeux. Dans les îles de l’Arctique, ils sont moins ennuyés par les insectes piqueurs, car ils se nourrissent dans les prairies mouillées.
Dès septembre, la neige recouvre le sol, et le bœuf musqué doit donc creuser pour atteindre les saules, les plantes herbacées et les carex dont se compose la majeure partie de son régime. Dans la plupart des régions de la toundra, le tapis neigeux est assez mince et ne nuit habituellement pas à son alimentation et à ses déplacements. Les troupeaux se nourrissent souvent dans les vallées et les basses terres où il y a moins de 20 cm de neige. En ces endroits, le vent balaie constamment la neige, créant une croûte bien assez dure pour supporter le poids d’un être humain adulte. Quand les bœufs musqués n’arrivent pas à percer cette cro?te avec leurs pattes, ils la brisent à coups de tête. Ils en repoussent ensuite les morceaux avec les pattes, exposant ainsi la végétation sous-jacente. Les bœufs musqués dominants du troupeau chassent souvent de ces fosses de broutage leurs congénères de rang inférieur.
La vue perçante du bœuf musqué lui est très utile durant la longue nuit arctique hivernale, et son odorat bien développé lui est d’un précieux secours quand il s’agit de trouver de la nourriture sous le manteau de neige qui couvre tout de septembre à juin.
Reproduction
Vers la fin du printemps et à l’été, les troupeaux se composent de mâles et de femelles de tous âges. À l’approche de la saison du rut, la composition de certaines hardes change : après avoir renfermé un nombre égal de mâles et de femelles adultes, on y trouve plus qu’un seul mâle adulte (taureau dominant) entouré de plusieurs femelles adultes, de petits et de jeunes mâles préadultes. De nombreux taureaux quittent alors la harde à la suite de conflits avec le taureau dominant et vivent en solitaires ou se joignent à d’autres taureaux jusqu’à ce que la période de l’accouplement soit terminée.
Durant la période de l’accouplement, les mâles tentent de s’imposer en poussant fréquemment des beuglements sourds menaçants. À l’issue de combats ou d’assauts élaborés, le vainqueur acquiert le statut de mâle dominant et peut alors régner sur une harde.
Dans les îles du Nord, les petits naissent entre avril et juin, époque où le tapis neigeux est le plus épais, où les températures peuvent descendre à -34 oC et où les tempêtes de neige sont fréquentes. Les femelles commencent à se reproduire à l’âge d’environ quatre ans et ont un petit par année quand les conditions sont favorables. Les nouveau-nés sont couverts d’un épais manteau laineux et peuvent se tenir debout quelques minutes après leur naissance. Les femelles gravides restent avec le troupeau, et, quelques heures après la naissance, la mère et son petit sont capables de suivre le groupe. Les veaux meuglent pour maintenir le lien avec leur mère. Ils sont enjoués et commencent très tôt à se nourrir de plantes, mais ils continuent à téter à l’occasion durant toute leur première année.
Conservation
Les trappeurs et les chasseurs des compagnies faisant le commerce des fourrures en ont également pris des milliers.
En 1917, le gouvernement du Canada accordait au bœuf musqué le statut d’espèce protégée, ce qui a donné lieu à un lent rétablissement des populations de cet animal. Sur certaines îles de l’Arctique, les effectifs du bœuf musqué se sont graduellement accrus. Conséquemment, depuis 1970, le gouvernement permet aux Inuits du Nord du Canada de tuer de plus en plus de bœufs musqués chaque année. En outre, la chasse récréative constitue aujourd’hui une source de revenus pour certaines communautés du Nord. Certaines îles ont cependant vu chuter leurs populations de bœufs musqués, et dans certaines régions, aucun petit n’est né durant plusieurs années d’affilée.
L’accroissement des activités humaines dans l’Arctique canadien a incité les scientifiques à en étudier les effets sur le bœuf musqué. Les biologistes surveillent les populations sauvages par dénombrement aérien, étiquetage et pistage radioélectrique et en effectuant des études sur les conditions des aires de répartition. Le passage Polar Bear, sur l’île Bathurst, a été déclaré Réserve nationale de faune. Les moyens de défense des bœufs musqués ont toujours été inefficaces contre les humains. Lorsqu’ils se font déranger par des aéronefs volant à basse altitude ou par des humains qui les approchent à pied, ils commencent par former leur cercle défensif sans se sauver et attendent presque qu’on soit sur eux avant de prendre la fuite.
Des programmes de domestication ont été mis sur pied à Unalakleet, en Alaska, et à Kuujjuaq, au Québec. Le troupeau domestiqué de l’Alaska se trouve actuellement à Palmer et a permis l’apparition d’une industrie autochtone de fabrication de vêtements et d’autres articles en laine. Les bœufs musqués du projet de Kuujjuaq ont été relâchés et vivent aujourd’hui en liberté dans le Nord du Québec.
Ressources
Ressources imprimées
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© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de l’Environnement, 1975, 1984, 1999-i. Tous droits réservés.
No de catalogue CW69-4/51-1999-I
ISBN 0-660-13637-6
Texte : David R. Gray
Révision scientifique : David R. Gray, 1990
Photo : Corel