Description
Les lagopèdes sont au nombre des quelques espèces plus résistantes de la famille des phasianidés qui passent la majeure partie de leur existence au sol, à proximité de la limite des arbres. Trois espèces vivent en Amérique du Nord : le Lagopède des saules (Lagopus lagopus), le Lagopède à queue blanche (Lagopus leucurus)et le Lagopède alpin (Lagopus mutus).
Comme les autres phasianidés, les lagopèdes ont un corps trapu, la queue et les pattes courtes et les ailes, petites et arrondies. Le poids du Lagopède des saules varie entre 450 et 800 g, celui du Lagopède à queue blanche est d’environ 350 g, tandis que celui du Lagopède alpin est intermédiaire.
Toutes les espèces de lagopèdes ont les doigts emplumés (caractéristique unique chez les gallinacés), ce qui leur permet de marcher plus facilement dans la neige. Le plumage de leurs ailes est blanc en tout temps de l’année. Les caroncules rouges gonflables au-dessus des yeux sont particulièrement évidentes chez les mâles durant la période des combats territoriaux et des accouplements, mais plus pâles ou à peine visibles chez les femelles.
Les lagopèdes ont la particularité de changer de plumage trois fois par année et non pas deux, comme la plupart des autres oiseaux. En toute saison, leur plumage leur permet de bien se confondre avec le milieu ambiant, surtout les femelles. En hiver, les deux sexes des trois espèces sont presque entièrement blancs., La queue du Lagopède à queue blanche demeure toujours blanche, alors que celle du Lagopède des saules et du Lagopède alpin reste noire toute l’année. En hiver, les mâles (et certaines femelles) du Lagopède alpin montrent une raie noire du bec à l’œil, ce qui donne l’impression que ces oiseaux portent des verres fumés pour se protéger de la cécité des neiges. Cette particularité permet de les distinguer du Lagopède des saules mâle.
La mue (le changement de plumage) progresse de la tête vers la queue chez les lagopèdes. Dès que s’amorce la fonte des neiges, les femelles acquièrent leur plumage nuptial rayé où prédominent le brun, l’or et le noir. Les femelles des trois espèces sont difficiles à distinguer au printemps, mais celles du Lagopède à queue blanche se reconnaissent à leur coloration générale plus sobre. Chez les mâles, la mue débute plus tardivement.
Au début de la saison de nidification, les mâles du Lagopède des saules ont la tête, le cou et la poitrine d’un roux marron caractéristique et le reste du corps blanc. Une fois la mue estivale achevée, la coloration brun marron s’étend à tout le corps, sauf les parties inférieures de l’abdomen et les ailes.
Les mâles du Lagopède alpin conservent leur plumage hivernal pendant toute la saison de nidification et une partie de l’été. Durant les parades, ils offrent un spectacle particulièrement saisissant avec leur plumage blanc et noir immaculé et leurs crêtes rouges. Après la fonte des neiges, leur plumage devient plus terne à cause des bains de poussière. Vers la fin de l’été, les mâles acquièrent une livrée bigarrée semblable à celle des femelles puis, au moment où ces dernières achèvent d’élever leur progéniture, ils endossent un plumage automnal plus grisâtre. À peine les deux sexes ont-ils revêtu leur plumage automnal qu’ils commencent déjà à le remplacer par la livrée blanche hivernale caractéristique.
Durant les deux ou trois premières semaines de leur existence, les jeunes lagopèdes sont couverts de duvet et ornés de motifs compliqués où alternent le jaune, le brun, le gris et le marron. Ils acquièrent ensuite un plumage brunâtre qui rappelle celui des femelles et qui persiste jusqu’en automne, puis muent de nouveau pour endosser le plumage hivernal blanc caractéristique.
Signes et sons
Les mâles reproducteurs se différencient par leurs parades nuptiales aériennes et terrestres et par leur cri particuliers : le Lagopède des saules semble se gargariser, le Lagopède alpin émet un ronflement et le Lagopède à queue blanche crie.
Haut de la pageHabitat et habitudes
En Amérique du Nord, les lagopèdes vivent dans presque tous les habitats arctiques et alpins, tant qu’il y a de la végétation. Durant la saison de nidification, les trois espèces peuvent se rencontrer sur une même montagne, mais chacune occupe un habitat différent.
En été, le Lagopède des saules fréquente les régions situées à la limite des arbres, les vallées arctiques et les toundras côtières où la végétation est relativement dense et haute. Il préfère les endroits humides, tels que le bord des étangs, les bosquets bordant les ruisseaux et les toundras humides, cohabitant parfois avec la sauvagine et les oiseaux de rivage. Récemment, cette espèce a étendu son aire de répartition vers le nord pour atteindre certaines régions qui étaient auparavant fréquentées uniquement par le Lagopède alpin.
Le Lagopède alpin vit à des altitudes et latitudes plus élevées et dans des habitats relativement plus secs que le Lagopède des saules, là où la végétation est clairsemée et rabougrie. Dans les portions méridionales et occidentales de son aire de répartition en Amérique du Nord, le Lagopède alpin se rencontre également dans les habitats broussailleux plus typiques du Lagopède des saules.
Le Lagopède à queue blanche est une espèce strictement alpine. Il se rencontre sur les cimes des plus hautes montagnes, les prairies rocailleuses et les pentes rocheuses où il cohabite avec le mouflon, la chèvre de montagne et la marmotte des Rocheuses. Il élève sa progéniture dans de petites dépressions humides, parmi les escarpements et les champs de neige. Au nord de son aire de répartition, le Lagopède à queue blanche niche à des altitudes variant entre 900 et 1 200 m. Dans la partie sud des Rocheuses, on l’observe rarement à moins de 3 500 m d’altitude en été.
À la fin de l’automne, les lagopèdes descendent des montagnes ou migrent vers le sud à la recherche d’habitats mieux protégés par une végétation arbustive plus dense ou dans les régions forestières. Le Lagopède des saules peut migrer bien en deçà de la limite forestière.
L’hiver, les oiseaux consacrent l’essentiel de leur temps à s’alimenter le jour et à se reposer la nuit à l’abri des buissons, ou enfouis sous la neige lorsque les conditions météorologiques sont extrêmes, La qualité et la profondeur de la neige jouent un rôle déterminant pour la survie des lagopèdes. L’accessibilité de la nourriture, par exemple, est intimement liée à l’épaisseur de la couche de neige, et celle des sites offrant une protection contre le vent froid, à son épaisseur et à sa dureté. Ces mêmes facteurs déterminent également avec quelle facilité leurs prédateurs, tels les renards, les lynx, les loups et les martres peuvent les pourchasser.
Caractéristiques uniques
En toute saison, les lagopèdes sont autant une source de nourriture que des compagnons pour les habitants du Nord. Les légendes, les jouets et l’art de tous les peuples de l’Arctique témoignent de l’intensité de cette relation.
Toutes les espèces de lagopèdes ont les doigts emplumés (caractéristique unique chez les gallinacés), ce qui leur permet de marcher plus facilement dans la neige.
Aire de répartition
Le Lagopède alpin et le Lagopède des saules sont présents dans tous les pays qui entourent le pôle Nord tandis que le Lagopède à queue blanche, espèce exclusivement nord-américaine se rencontre dans les monts Cascade et les montagnes Rocheuses, dans l’Ouest de l’Amérique du Nord, depuis l’Alaska jusqu’au nord du Nouveau-Mexique.
Le Lagopède à queue blanche, ainsi que les deux autres espèces dans les régions les plus méridionales de leur aire de répartition, n’ont que quelques centaines de mètres ou au plus quelques kilomètres à franchir pour atteindre leur aire d’alimentation hivernale. En revanche, les populations de Lagopède des saules et de Lagopède alpin du Grand Nord parcourent probablement des distances beaucoup plus grandes. De tous les phasianidés, c’est le Lagopède alpin, en particulier la population du nord de l’île d’Ellesmere, qui effectue les migrations les plus spectaculaires, se déplaçant parfois sur plus de 800 km.
Alimentation
À l’instar des autres membres de la famille, les lagopèdes sont essentiellement herbivores. Durant l’été, ils se nourrissent de feuilles, de bourgeons, de chatons, de fleurs, de capsules fructifères, de bulbilles et de baies d’un grand nombre de plantes de la toundra. Ils consomment également des mousses et ajoutent des insectes et des araignées à leur menu. Ces oiseaux semblent particulièrement doués pour reconnaître les substances les plus nutritives, ce qui les sert bien étant donné leur forte demande énergétique.
Les oisillons ont besoin d’un régime à forte teneur en protéines pour soutenir un rythme de croissance aussi rapide. Après avoir absorbé le sac vitellin de l’œuf qu’ils viennent de quitter, les oisillons consomment divers objets, en particulier des chenilles, d’autres invertébrés, des fleurs ou des graines.
L’hiver est une période particulièrement critique pour les lagopèdes, car ils doivent se rabattre sur les quelques plantes qui émergent de la neige ou des endroits balayés par le vent. Les lagopèdes se nourrissent des graines, des bourgeons et des ramilles des saules et des aulnes rabougris et des bouleaux nains. Pour atteindre les chatons et les bourgeons d’autres espèces d’arbres et de buissons, le Lagopède des saules s’installe en équilibre plus ou moins précaire au sommet des branches. Le Lagopède alpin, lui, préfère gratter dans la neige peu profonde pour atteindre les plantes rampantes telles que la saxifrage à feuilles opposées et recherche les fosses de broutage creusées par les caribous, les bœufs musqués et les lièvres arctiques. Pour sa part, le Lagopède à queue blanche ajoute à son menu des aiguilles et des bourgeons d’épinettes, de pins ou de sapins. Les légères différences de la taille et de la forme du bec reflètent les caractéristiques particulières du régime alimentaire hivernal de chaque espèce.
Haut de la pageReproduction
Les lagopèdes sont habituellement considérés comme étant monogames (ils n’ont qu’un partenaire à la fois) Toutefois, chez le Lagopède alpin, les mâles peuvent s’accoupler avec deux, parfois trois femelles partageant leur territoire lorsque les populations atteignent des densités exceptionnellement élevées (comportement appelé polygamie). Les mâles peuvent alors parfois ravir les partenaires de leurs voisins. Les femelles s’accouplant à des mâles polygames se livrent à une intense concurrence pour attirer l’attention du mâle. Une hiérarchie s’installe, et la favorite du mâle occupe la position dominante.
Au début de la période d’incubation (période pendant laquelle la femelle couve les œufs pour les garder au chaud), les mâles montent la garde auprès des femelles. Leur intérêt pour cette activité s’estompe graduellement, et les femelles se retrouvent bientôt seules pour couver les œufs et élever leur progéniture. Les mâles du Lagopède des saules constituent toutefois une exception et sont les seuls parmi la famille des phasianidés à afficher un certain « instinct paternel », demeurant auprès des femelles durant toute la période d’incubation et participant habituellement à l’élevage des petits.
Les œufs, dont le nombre varie entre cinq et 14, sont ornés de fines mouchetures ou marbrures et sont pondus à même le sol, dans une faible dépression lâchement tapissée d’herbes, de lichen, de feuilles et de plumes. Bien au chaud sous les plaques incubatrices abdominales dépourvues de plumes de la femelle, les oisillons couverts de duvet éclosent environ trois semaines après la ponte du dernier œuf de la couvée.
L’éclosion ne prend habituellement que quelques heures mais peut s’étaler sur une journée complète. Pendant ce temps, la femelle garde la couvée au chaud, mais les oisillons émergent brièvement de temps à autre. Peu de temps après, la femelle entraîne hors du nid ses petits, qui pèsent environ 15 g, en émettant des cris sourds. La famille s’alimente à proximité du nid au début, mais elle étend graduellement son territoire, parcourant parfois de très grandes distances pour trouver sa nourriture.
Les femelles qui parviennent à élever leur couvée n’ont habituellement qu’une ponte par année. Celles qui perdent leurs œufs durant la période de ponte ou d’incubation peuvent effectuer une nouvelle ponte. On a déjà observé une femelle de Lagopède alpin tenter de pondre, quatre fois de suite, à des endroits différents mais à l’intérieur du territoire du même mâle, ses œufs étant chaque fois dévorés par un renard.
La croissance des jeunes lagopèdes est extrêmement rapide. Chancelants sur leurs pattes à l’éclosion, les oisillons peuvent courir aussi rapidement qu’une souris quelques jours plus tard et commencent déjà à voler maladroitement à l’âge d’environ une semaine. À l’automne, les jeunes ont presque atteint la taille des adultes et sont en mesure de subvenir à leurs propres besoins. Ils commencent à se rassembler avec les adultes en petites bandes, et il arrive que les espèces se mêlent lorsque ces bandes s’unissent pour en former de plus grandes. Ces rassemblements sont ponctués de parades et de cris assez abondants, qui n’atteignent cependant pas l’intensité ni la vigueur de la pariade printanière.
Haut de la pageConservation
Les populations de lagopèdes, tout comme celles du lièvre d’Amérique, de la Gélinotte huppée et du Tétras des savanes, du lemming, du lynx, du renard roux et du renard arctique ainsi que du Harfang des neiges, sont soumises à des fluctuations cycliques. Aucun facteur ne peut à lui seul expliquer un tel phénomène, mais il semble que les conditions météorologiques et la qualité et la quantité de nourriture disponible exercent une action déterminante sur les hausses et les déclins que ces populations subissent à intervalles plus ou moins réguliers.
En Amérique du Nord, les lagopèdes vivent dans des régions rarement fréquentées par les humains. Toutefois, la situation est en train de changer rapidement, au point où les mesures de conservation actuelles, qui sont essentiellement de nature préventive (tels que les règlements de chasse qui visent à protéger les populations d’oiseaux nicheurs et établissent des limites de prises quotidiennes) ou qui permettent de résoudre des problèmes locaux, pourraient ne plus suffire.
L’isolement relatif dans lequel vivent les lagopèdes ne suffit plus à les protéger contre les méfaits d’une utilisation inconsidérée du territoire, qui a déjà entraîné la dégradation ou la destruction d’une partie de leur habitat. Le broutage par les moutons a entraîné la dévastation d’une bonne partie de l’habitat alpin du Lagopède à queue blanche, dans la portion méridionale de son aire de distribution. Le surpâturage par le caribou a sérieusement ravagé les toundras côtières de l’ouest de l’Alaska et de l’embouchure du fleuve Mackenzie. L’augmentation du nombre de feux allumés par les humains dans la toundra, surtout dans les régions situées à proximité de la limite de végétation arborescente, a entraîné une réduction temporaire de la quantité et de la diversité de la nourriture disponible mais stimulé la croissance des arbustes qui servent à l’alimentation des lagopèdes en hiver. Les activités liées à l’exploration pétrolière semblent avoir peu d’effets néfastes sur les populations de lagopèdes, mais ce n’est pas le cas de toutes les activités de développement. Toute utilisation des terres provoquant une érosion progressive, la destruction de la végétation ou la pollution des sols, de l’air et de l’eau ou entraînant la fonte du pergélisol constitue une menace pour les lagopèdes et la faune en général.
Depuis quelques années, plusieurs autres problèmes ont fait surface. L’écotourisme ne semble pas avoir provoqué à ce jour un déclin perceptible des populations de lagopèdes, mais il a contribué indirectement à la destruction de leur habitat, qui est souvent fort fragile. La dérive aérienne de polluants sur de longues distances s’est généralisée et met en danger les populations de nombreuses espèces de l’Arctique, dont les lagopèdes. Enfin, personne n’est encore en mesure de prédire comment la faune réagira au réchauffement climatique et à l’amincissement de la couche d’ozone.
Bien que les trois espèces de lagopèdes aient été étudiées par les scientifiques, leur seuil de tolérance face aux changements causés par l’être humain ainsi que de nombreux aspects de leur biologie demeurent méconnus.
Ressources
Ressources en ligne
Cornell University Laboratory of Ornithology (en anglais seulement)
Ressources imprimées
DELAUNOIS, A. Les animaux du Grand Nord, Saint-Lambert (Qc), Éd. Héritage inc.,1993, p. 162-165.
GODFREY, W. E. Les oiseaux du Canada, éd. rév., Musées nationaux du Canada, réimprimé en 1989, La Prairie (Québec), Éditions Marcel Broquet, en collaboration avec le Musée national des sciences naturelles, 1986.
© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de l’Environnement, 1994. Tous droits réservés.
N° de catalogue CW69-4/38-1994F
ISBN 0-662-98933-3
Texte : B.T. Aniskowicz
Photo : Eric Reed
Illustration : B.T. Aniskowicz