Description
Le Petit Garrot (Bucephala albeola) est le plus petit canard plongeur du Canada. Son plumage noir et blanc vivement contrasté et son activité incessante lui valent une attention sans commune mesure avec sa population relativement restreinte.
Le Petit Garrot est un oiseau trapu dont le poids moyen atteint 450 g chez le mâle et 340 g chez la femelle. Il est toutefois beaucoup plus lourd au moment de la migration, parce qu’il peut avoir emmagasiné jusqu’à 115 g de réserves de graisse en prévision de son périple. Les chasseurs le qualifient parfois de « patapouf ».
Le mâle adulte a le dos noir et la poitrine blanche, et ses pattes sont d’un rose vif. Il arbore un triangle blanc à l’arrière de la tête, et chaque aile est traversée sur le long par une large bande blanche. La femelle, de même que le mâle d’un an ou moins, est plus terne; les zones sombres sont gris noirâtre ou brunâtres plutôt que franchement noires, et les blanches ont moins d’éclat et sont moins étendues que chez le mâle adulte. À l’instar de ses cousins, le Garrot à œil d’or et le Bec-scie couronné, le Petit Garrot mâle n’acquiert son plumage d’adulte qu’au cours de son deuxième hiver et commence à se reproduire peu avant d’avoir deux ans.
Signes et sons
Le mâle et la femelle sont habituellement silencieux : le seul cri fréquent des Petits Garrots est le croassement rauque qu’émet la femelle lorsque son nid ou sa couvée est menacé.
Haut de la pageHabitat et habitudes
Le Petit Garrot s’affaire constamment et ses mouvements sont à la fois brusques et énergiques. Quand il se repose, ce qui est rare, c’est sur l’eau et en bandes, comme le font les canards plongeurs de la tribu Aythya (Petit Fuligule, Grand Fuligule, Fuligule à tête rouge et Fuligule à dos blanc). Quand il n’est pas en quête de nourriture, le Petit Garrot se consacre au lissage de ses plumes ou à la parade nuptiale.
En hiver, il fréquente les eaux peu profondes et abritées des anses et des estuaires, ainsi que les lagunes au fond boueux ou graveleux; il se nourrit souvent à proximité des anciens quais ou des estacades flottantes. Peu importe la saison, on le voit rarement le long des côtes dégagées. Comme site de reproduction, il préfère les petits étangs, situés habituellement au cœur des boisés. Contrairement aux espèces apparentées, il niche rarement près des rivières ou des lacs plus vastes, peut-être parce que ces eaux abritent le grand brochet, un gros poisson qui se nourrit volontiers de canetons.
Le Petit Garrot, qui n’est ni grégaire ni sociable, fait généralement partie d’un groupe de dix oiseaux ou moins. Lorsque celui-ci compte des individus des deux sexes, les parades nuptiales sont fréquentes, mais les femelles ne réagissent qu’aux avances des mâles âgés de plus d’un an.
Caractéristiques uniques
Souvent, le mâle tente de chasser un rival qui veut courtiser sa femelle en fonçant vers lui à la surface de l’eau ou n plongeant pour ressortir directement sous l’intrus, dans un énorme éclaboussement qui se voit de très loin et qui lui est propre. Ce comportement permet de reconnaître le Petit Garrot, même quand la distance empêche de le distinguer nettement.
Haut de la pageAire de répartition
Les Petits Garrots sont présents dans tout le pays, quoique presque toujours en colonies restreintes. Au printemps et à l’été, la plupart des oiseaux nichent à l’est de la chaîne côtière de la Colombie-Britannique et dans la moitié septentrionale de l’Alberta, mais on peut aussi les voir en petits nombres à l’Est, en Ontario et même au Québec, ainsi que dans le Grand Nord, dans la partie Sud de l’Alaska, du Yukon et du fleuve Mackenzie. En hiver, on peut souvent les observer le long de la côte Ouest du Canada et régulièrement dans leurs zones de prédilection situées près du lac Ontario ainsi que le long des côtes méridionales du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. La plupart d’entre eux, cependant, hivernent aux États-Unis, du New Jersey à la Caroline du Nord, à l’est, et de l’État de Washington au centre de la Californie, à l’Ouest.
Les Petits Garrots émigrent vers le sud, tard en automne, et font une première apparition dans les régions habitées du Canada à la fin d’octobre et au début de novembre. Les oiseaux provenant de la Colombie-Britannique et du district de la rivière de la Paix, en Alberta, se dirigent directement vers le Pacifique en franchissant les montagnes à haute altitude. Ceux qui partent du centre de l’Alberta volent vers le sud, au-dessus des montagnes de l’Idaho et de l’Utah, jusqu’aux réservoirs disséminés du Nouveau-Mexique, de l’Arizona, du Nevada et du Sud de la Californie. La plupart, cependant, survolent les Prairies en mettant le cap sur l’est et le sud-est en direction de l’Atlantique. Le Minnesota, le Wisconsin, le lac Érié et la côte atlantique sont au nombre de leurs principales haltes migratoires; la distance entre ces régions est d’environ 800 km, soit l’équivalent d’une nuit de vol pour des canards voyageant à une vitesse moyenne de 55 à 65 km/h.
Bien que des Petits Garrots bagués en Alberta aient été abattus dans 36 États américains et cinq provinces canadiennes, aucun n’a encore été retrouvé en Saskatchewan, et une seule prise a été signalée au Montana; il semblerait donc que ces deux régions soient franchies d’une seule traite. Quelques-uns obliquent vers le sud pour aller hiverner dans les vallées du Mississippi et du Tennessee, ou encore le long du golfe du Mexique, mais la plupart poursuivent leur route vers l’est, en direction de l’Atlantique. De petits nombres font leur apparition dans les États du nord et dans le Sud de l’Ontario, mais les grands déplacements ont plutôt lieu pendant la seconde moitié d’avril. Comme pour la plupart des canards, la migration printanière est plus longue que celle de l’automne, parce que les oiseaux doivent attendre le dégel des eaux dans les régions septentrionales. En Colombie-Britannique, les premiers à gagner l’intérieur des terres sont majoritairement des adultes mâles sans partenaire; il semble, toutefois, que cette particularité soit exclusive à cette région.
Alimentation
Le Petit Garrot se nourrit toujours en plongeant, même dans les bas-fonds. Comme c’est au fond des plans d’eau qu’il trouve la majeure partie de sa nourriture, ses plongeons sont plus longs en eau profonde. Il s’alimente surtout d’arthropodes, principalement des larves d’insectes en eau douce et des petits crustacés, comme des crevettes, des crabes et des amphipodes, en eau salée. À l’automne, il mange beaucoup de graines de plantes aquatiques et, en hiver, il extrait de petits escargots de mer ou des myes d’eau douce de leurs habitats respectifs.
Haut de la pageReproduction
La parade nuptiale, qui dure tout l’hiver, s’intensifie à l’approche du printemps, mais la pariade semble se conclure surtout au moment de la migration printanière, puisque les couples sont déjà formés lorsqu’ils parviennent aux sites de nidification. De même que chez la plupart des canards plongeurs, les mâles sont plus nombreux que les femelles, c’est pourquoi beaucoup d’entre eux resteront sans partenaire.
Pendant la parade nuptiale, le mâle multiplie les mouvements rapides et saccadés qui consistent le plus souvent en des hochements de tête. La manifestation la plus spectaculaire est celle où, tête et queue baissées, il survole rapidement la femelle en battant des ailes plus bas que son corps et atterrit en glissant comme s’il faisait du ski nautique pour mieux exhiber ses pattes et son plumage. Ainsi qu’on a pu l’observer chez la plupart des canards et chez d’autres oiseaux aquatiques, la parade se termine généralement par une extension de tout le corps vers le haut et des battements d’ailes.
Dans la plupart des régions, les Petits Garrots commencent à nidifier peu après leur arrivée. La femelle pond ses œufs dans le creux d’un arbre, de préférence dans un nid de pic abandonné. Les espèces apparentées, comme les Garrots à œil d’or et les Becs-scies, nichent elles aussi dans les arbres, ce qui explique que certains les qualifient de « canards branchus ». Toutefois, le vrai Canard branchu vit plus au sud et n’a strictement rien à voir avec les canards plongeurs qui préfèrent nicher dans les arbres. Le Petit Garrot est le seul de cette espèce à utiliser les nids de pics, les autres canards ayant besoin de cavités plus grandes.
La couvée compte habituellement de sept à 11 œufs, mais ce nombre peut être aussi bas que cinq ou aussi élevé que 14. Il arrive aussi que plus d’une femelle ponde dans un même nid, ce qui donnera un total d’une quinzaine ou même d’une vingtaine d’œufs. Ces nids de dépôt, qui peuvent être abandonnés sans qu’il y ait eu incubation, sont plus rares chez le Petit Garrot que chez les canards plus gros qui ont davantage de difficulté à trouver un site de nidification. En général, les œufs sont pondus à des intervalles de plus de 24 heures. L’incubation, c.-à-d. le maintien des oeufs au chaud jusqu’à l’éclosion, dure une trentaine de jours, et les poussins sortent de leur coquille entre le milieu et la fin de juin. Les canetons restent au nid pendant une période de 24 à 36 heures après l’éclosion, puis la mère les mène au plan d’eau le plus proche. Les pertes de canetons survenant pendant ce trajet pourraient bien expliquer la rareté ou l’absence de cette espèce dans les sous-bois touffus.
Bucephala albeola / Le Petit Garrot
Photo: USFWS/Donna Dewhurst
La femelle prend grand soin de ses petits pendant environ un mois, jusqu’au moment où elle les quitte pour muer, c.-à-d. pour renouveler son plumage. Quand ils sont encore très jeunes, les canetons ont fréquemment besoin d’être couvés (gardés au chaud). En effet, un temps froid et humide peut occasionner de nombreuses pertes chez les oisillons de moins de deux semaines. D’autres seront dévorés par les brochets ou d’autres prédateurs, de sorte qu’à peu près la moitié des petits survivront assez longtemps pour prendre leur envol, soit à l’âge de sept à huit semaines. Pendant ce temps, les adultes gagnent vers leur lac préféré pour la mue annuelle de leurs plumes voilières. Ils sont incapables de voler pendant les trois semaines que dure cette activité, qui a normalement lieu en juillet pour les mâles et en août pour les femelles. En septembre, les Petits Garrots, sans distinction d’âge, renouvellent leur plumage et accumulent des réserves de graisse en prévision de la migration d’automne.
Haut de la pageConservation
Plusieurs facteurs concourent à réduire le nombre et l’aire de répartition du Petit Garrot, l’une des espèces de canards les plus rares de l’Amérique du Nord. Comme celui-ci niche dans des creux d’arbres, il ne peut s’établir ni dans les grandes plaines ni dans la toundra. Vu la petite taille des canetons, le trajet entre le nid et l’eau, dans les secteurs où la végétation est touffue, s’avère plus risqué pour le Petit Garrot que pour les canards plus grands, ce qui contribue sans doute à limiter l’aire de répartition aux seules forêts claires. L’essartage des forêts-parcs dans les Prairies a détruit une grande partie d’un excellent habitat. La rareté des endroits propices à la nidification, probablement aggravée par la mortalité des jeunes attribuable aux brochets et à la température inclémente, restreint la densité de la population reproductrice dans la plus grande partie de l’aire de répartition.
Dans un habitat propice, lorsque les autres facteurs ne sont pas défavorables, on pourrait s’attendre à ce que la quantité de la nourriture disponible contribue à stabiliser les populations de Petits Garrots. Cependant, il est probable que la distance entre les couples reproducteurs réduit au minimum la concurrence pour la nourriture entre les Petits Garrots de même qu’avec les autres espèces de canards. Rien n’indique que la maladie ou les prédateurs, autres que les chasseurs, aient jamais limité la population de ces canards.
Bien que la chasse au Petit Garrot soit pratiquée un peu partout en Amérique du Nord, cette espèce ne représente pas plus de deux pour cent de tous les canards abattus au Canada. Peu méfiant, cet oiseau est une cible facile, mais comme sa chair est peu abondante comparativement à celle de la plupart des canards, il est dédaigné par les chasseurs. À l’instar des autres canards qui se nourrissent d’animaux, la chair du Petit Garrot a un go?t assez prononcé, surtout quand il s’alimente en mer. Il ne constitue donc pas un important oiseau considéré comme gibier, et il est peu probable qu’il le devienne.
En revanche, les ornithologues amateurs et les aviculteurs apprécient grandement le Petit Garrot à la fois pour son apparence remarquable et pour sa relative rareté. Son activité incessante de même que son plumage caractéristique en font l’un des canards les plus faciles à reconnaître et particulièrement intéressants à observer. Pour les humains, le Petit Garrot a plus de valeur comme objet d’émerveillement que comme espèce faisant l’objet de la chasse. Puisse-il continuer longtemps à rehausser nos eaux de sa présence!
Ressources
Ressources en ligne
Cornell University Laboratory of Ornithology (en anglais seulement)
Ressources imprimées
GODFREY, W. E. Les oiseaux du Canada, éd. rév., Musées nationaux du Canada, réimprimé en 1989, La Prairie (Québec), Éditions Marcel Broquet, en collaboration avec le Musée national des sciences naturelles, 1986.
NATIONAL GEOGRAPHIC SOCIETY. Guide d’identification des oiseaux de l’Amérique du Nord, La Prairie (Québec), Éd. Broquet inc., 1987.
© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de l’Environnement, 1979. Tous droits réservés.
N° de catalogue CW69-4/40F
ISBN 0-662-90529-6
Texte : A.J. Erskine
Réimprimé avec corrections en 1991
Photo : Robert McCaw