Description
Les rats musqués (Ondatra zibethicus) sont des rongeurs d’assez grande taille qui fréquentent les marécages et les voies navigables d’Amérique du Nord. Le rat musqué est un animal pansu et grassouillet. Son corps, à l’exception de la queue et des pattes, est recouvert d’une épaisse fourrure imperméable. Le duvet est court, dense et soyeux alors que les jarres, longs poils protecteurs, sont plutôt drus et lustrés. Le pelage passe du brun foncé sur la tête et le dos à un brun grisâtre et pâle sur le ventre. L’animal adulte pèse en moyenne 1 kg, mais ce poids varie considérablement selon les régions de l’Amérique du Nord. Du museau au bout de la queue, le rat musqué atteint habituellement 50 cm de longueur. La queue est fine et aplatie verticalement, et peut mesurer jusqu’à 25 cm de longueur. Elle est recouverte d’une peau écailleuse qui la protège.
Les pattes sont à peine velues. Celles de devant ressemblent à des mains et servent à construire les huttes, à tenir les aliments et à creuser des terriers et des canaux. Bien que les rats musqués emploient leurs pattes postérieures pour nager, celles-ci ne sont pas palmées comme chez le castor et la loutre. Par contre, chacun des quatre longs doigts est bordé de part et d’autre d’une frange de poils qui permet au pied d’agir comme un aviron.
Les oreilles, plutôt petites, sont habituellement dissimulées sous la longue fourrure. Les quatre dents antérieures en forme de ciseau (deux incisives supérieures et deux inférieures), mesurant chacune jusqu’à 2 cm, servent à trancher les tiges et les racines des plantes.
Le rat musqué tire son nom du fait qu’il possède deux glandes de musc, aussi appelées glandes anales, disposées sous la peau près de l’anus. À la saison de reproduction, ces glandes se dilatent et sécrètent une substance jaunâtre, à odeur de musc, que l’animal répand à intervalles le long des pistes fréquentées par l’espèce. Parmi les endroits fréquemment arrosés, il y a les « toilettes », la base des huttes et les pointes de terre bien en vue. Aucune étude poussée n’a encore été consacrée à la biologie des glandes de musc, mais on croit que l’odeur dégagée serait un moyen de communication entre les rats musqués, notamment pendant la saison de reproduction.
Signes et sons
Au printemps, à la saison de reproduction, on entend les sifflements stridents du rat musqué et parfois des bruits de lutte.
Habitat et habitudes
Le rat musqué vit habituellement dans les marais d’eau douce, dans les régions marécageuses des lacs et en bordure des cours d’eau à faible débit. Le niveau de l’eau doit être assez élevé pour qu’elle ne gèle pas jusqu’au fond, en hiver, mais assez bas pour permettre la croissance de plantes aquatiques, la profondeur idéale se situant entre 1 et 2 m. Les lieux qu’il préfère sont ceux où abondent les joncs, les quenouilles, les potamots ou les carex.
Il n’est pas rare d’apercevoir, disséminés parmi les quenouilles et les joncs de terrains marécageux, des assemblages compacts de végétaux partiellement séchés et décomposés. Ces « tas de branches mortes » sont des huttes de rats musqués. La présence de joncs et de quenouilles est très importante, surtout dans les lacs. En plus de servir d’aliments, ils sont utilisés comme matériaux dans la construction de huttes et de stations alimentaires; ils servent aussi d’abri contre le vent et l’action des vagues. Dans les régions septentrionales, les queues-de-cheval peuvent occuper une place importante dans l’habitat du rat musqué.
S’il n’y a ni joncs ni quenouilles, les rats musqués creusent des terriers dans le sol moussu ou argileux de berges stables. Comme les animaux doivent avoir facilement accès à l’eau profonde, le niveau de celle-ci doit augmenter assez rapidement à partir de la berge où se trouvent les terriers, ce qui leur permet d’échapper à leurs prédateurs et d’avoir, en hiver, une réserve alimentaire sous la glace.
Certaines personnes font une distinction entre les rats musqués qui construisent des huttes et ceux qui creusent des terriers dans les berges. Souvent, cette distinction laisse croire que ces deux « types » de rats musqués posséderaient des différences biologiques innées. Ce n’est cependant pas le cas : le genre d’habitation choisi dépend simplement de l’environnement.
Les préparatifs pour l’hiver commencent en septembre, tandis que les journées raccourcissent et que la température s’abaisse. L’automne est employé à la construction et à la consolidation des huttes pour l’hiver et, dans certaines régions, à l’entreposage de provisions alimentaires. Le mode de construction des huttes constitue un aspect extrêmement important de l’écologie des rats musqués. La hutte leur permet de vivre dans des endroits entourés d’eau et éloignés de la terre ferme. Elle les protège de leurs ennemis et leur sert d’abri contre les éléments.
Pour construire sa hutte, le rat musqué commence d’abord par former un monticule de végétaux et de boue. Ensuite, plongeant sous la surface de l’eau, il creuse un passage jusqu’au centre du monticule où il se ménage une seule pièce. Par la suite, il solidifie les murs extérieurs en les recouvrant d’une nouvelle couche de boue et de végétaux.
Une loge de ce genre mesure approximativement 0,5 à 1 m de hauteur et de diamètre, et possède une ou deux ouvertures qui débouchent sous l’eau. D’autres loges plus perfectionnées, renfermant plusieurs chambres et sorties séparées, peuvent s’élever jusqu’à 1,5 m de hauteur et mesurer 1,8 m de diamètre.
Peu de temps après le gel, le rat musqué ronge des ouvertures dans la glace des baies et des canaux. Ces ouvertures, situées jusqu’à 90 m de la hutte, lui servent de relais. L’animal recouvre ensuite ce trou de boue et de végétaux, obtenant ainsi une sorte de hutte miniature appelée « cloche ». Chaque cloche ne peut habituellement accueillir qu’un seul rat musqué. Lorsqu’il sort sous la glace, le rat musqué vient s’y reposer ou y manger.
L’hiver est une période d’inactivité relative. Le rat musqué est à l’abri du froid et de la plupart de ses prédateurs. Il passe le plus clair de son temps à dormir et à se nourrir jusqu’au retour de la saison de reproduction, après le dégel du printemps.
Le rat musqué est bien adapté à la vie semi-aquatique. Tout à fait à l’aise sur terre, il a, en outre, développé des caractéristiques qui lui permettent d’être également chez lui dans l’eau. À trois semaines, le jeune rat musqué est déjà un nageur et un plongeur habile. Adulte, il peut nager sans effort, et ce, pendant de très longues périodes. Cette aptitude est grandement renforcée par les propriétés de flottabilité de son épaisse fourrure imperméable. En nageant à la surface, le rat musqué tient ses pattes antérieures vers l’avant, légèrement pressées sur sa poitrine, et se meut par mouvements alternés de ses pattes postérieures. Sa queue lui sert tout au plus de gouvernail. Lorsqu’il nage sous l’eau, cependant, le mouvement d’aviron de la queue lui confère une force de propulsion probablement aussi grande que celle de ses pattes postérieures.
Au crépuscule, lorsque les eaux ne sont pas gelées, on peut apercevoir le rat musqué nager, manger assis sur une grosse b?che ou à l’extrémité d’une pointe de terre, ou encore affairé à améliorer sa hutte.
Le rat musqué, qui construit sa hutte à proximité de l’eau et qui est un nageur accompli, n’est pas un proche parent du castor, comme on le croit parfois. Il ne s’agit pas non plus d’un véritable rat. Fondamentalement, le rat musqué est un mulot de grande taille qui s’est adapté à la vie semi-aquatique.
Caractéristiques uniques
Le rat musqué peut, comme le castor et plusieurs autres mammifères, demeurer submergé une quinzaine de minutes. En plongée, le rat musqué réduit son rythme cardiaque et relâche ses muscles, ce qui a pour effet de réduire la consommation d’oxygène. En outre, il emmagasine dans ses muscles une réserve d’oxygène. Aussi, la disposition particulière de ses dents antérieures lui permet de ronger sous l’eau, tout comme le castor.
Haut de la pageAire de répartition
En Amérique du Nord, l’aire de répartition du rat musqué est plus grande que celle de presque tout autre mammifère; à cet égard, il s’agit donc d’une espèce extrêmement florissante. On trouve le rat musqué de l’océan Arctique, au nord, jusqu’au golfe du Mexique, au sud, et de l’océan Pacifique, à l’ouest, jusqu’à l’océan Atlantique, à l’est. Cette vaste répartition est étroitement corrélée au fait que le rat musqué fréquente les environnements aquatiques, communs en Amérique du Nord. En outre, l’activité humaine des deux derniers siècles n’a pas eu d’effet notable sur la répartition du rat musqué. En effet, bien que le drainage de marais et de marécages à des fins agricoles ou autres ait entraîné l’extermination totale des populations locales, ailleurs, la construction de fossés et de canaux d’irrigation s’est traduite par un accroissement des populations.
Jusqu’au début du siècle, le rat musqué ne se trouvait qu’en Amérique du Nord. Vers 1905, on l’a introduit en Europe où il est rapidement devenu un résident permanent. L’espèce s’est propagée à la fois vers le nord et vers l’est; elle est aujourd’hui répandue en Europe et dans le Nord de l’Asie.
Alimentation
De toutes les plantes aquatiques, les quenouilles constituent l’aliment préféré du rat musqué. Il semble cependant s’accommoder tout aussi bien de joncs, de queues-de-cheval ou de potamots, ces deux dernières plantes formant d’ailleurs la base de son alimentation dans les régions septentrionales. Il se nourrit également d’une variété d’autres plantes, dont le carex, le riz sauvage et l’osier.
L’épaisse couche glacée qui se forme en hiver confine le rat musqué à sa hutte (ou terrier) et à l’environnement aquatique situé sous la glace. Ce sont ses excellentes aptitudes pour la plongée ainsi que les relais qu’il s’est ménagés dans la glace qui lui permettent de continuer à s’approvisionner en nourriture dans de telles conditions. Il peut en effet parcourir des distances considérables sous la glace pour se nourrir. Une fois qu’il a trouvé l’aire d’alimentation, il arrache, à l’aide de ses dents, quelques bouts de plantes qu’il transporte et mange au relais le plus rapproché. Ces sorties sous une couche de glace et de neige pouvant atteindre un mètre d’épaisseur, dans une eau glaciale et dans une obscurité quasi totale, constituent un exploit tout à fait remarquable.
Lorsque leurs aliments habituels sont rares ou introuvables et que la nourriture d’origine animale est abondante, les rats musqués peuvent devenir surtout carnivores. Ils se nourrissent alors principalement de poissons, de grenouilles et de myes. La plupart du temps cependant, ce régime alimentaire ne leur réussit guère. La consommation de tels aliments est habituellement considérée comme un indice de disette.
Reproduction
La saison de reproduction débute aussitôt après le dégel, en mars, en avril ou en mai. Les couples ne s’unissent pas pour la vie; au contraire, le rat musqué semble avoir des mœurs assez libres, car il a de nombreux partenaires. Les mâles se font une lutte acharnée pour la conquête des femelles. Les petits (de cinq à dix) naissent moins d’un mois après l’accouplement. La femelle a habituellement une autre portée un mois après la première et, quelquefois, une troisième un mois après la deuxième.
Les nouveau-nés sont aveugles, dépourvus de poils et presque complètement démunis, mais leur développement est ensuite très rapide. À la fin de la première semaine, ils sont recouverts d’un fin duvet; ils ouvrent les yeux à la fin de la deuxième semaine et commencent habituellement à faire de brèves excursions à l’âge de deux ou trois semaines. Ils sont sevrés, ou cessent de téter, au bout d’environ trois semaines et deviennent essentiellement indépendants de leurs parents à six semaines.
La saison de reproduction se poursuit tout au long de l’été et les dernières portées naissent vers le mois d’août. Comme la nourriture est abondante en été, la croissance des jeunes est rapide.
Très peu de rongeurs parviennent à un âge avancé : la plupart sont tués par d’autres animaux dès leur jeunesse ou meurent accidentellement. D’après le peu de renseignements dont nous disposons, les rats musqués deviendraient vieux dès l’âge de trois ou quatre ans. Ils perdent alors beaucoup de leur vivacité naturelle et deviennent une proie facile pour le vison, le renard et d’autres prédateurs.
Conservation
S’il est provoqué, le rat musqué devient un adversaire redoutable. Lorsqu’il ne peut se réfugier en eau profonde, il se défend courageusement et peut, grâce à ses longues incisives, infliger de graves blessures à son agresseur. Malgré tout, il est souvent attaqué par d’autres espèces. Le vison fréquente sensiblement le même milieu et peut, en certaines circonstances, devenir une importante cause de mortalité chez les juvéniles. Il utilise le même réseau de tunnels, traverse les murs des huttes et peut même y pénétrer par les ouvertures pratiquées par le rat musqué. La chélydre serpentine (une tortue) et le grand brochet, qui habitent également les marais, s’attaquent aussi aux rats musqués. Lorsqu’ils voyagent sur la terre ferme à la recherche d’un nouvel habitat, les rats musqués risquent d’être attaqués par certains canidés (loups, coyotes, renards et chiens domestiques), de même que par des prédateurs occasionnels comme le blaireau d’Amérique, le carcajou, le pékan, le raton laveur et le lynx du Canada.
L’homme, qui le chasse depuis longtemps, est probablement le principal ennemi ou prédateur du rat musqué. Avant la colonisation de l’Amérique du Nord par les Européens, il était quelquefois chassé pour sa chair. L’arrivée des premiers colons ainsi que l’introduction des armes à feu et des pièges ont marqué le début d’une chasse intensive au rat musqué, dont la fourrure était très prisée. Cette pratique s’est poursuivie jusqu’à nos jours, car sa fourrure est encore en demande. Dans certaines parties de l’Amérique du Nord, en outre, on continue à le chasser pour sa chair.
Les rats musqués, comme nombre d’autres espèces sauvages, sont sujets à d’importantes fluctuations de population qui semblent se produire selon un cycle régulier. Dans le cas des rats musqués, leur nombre diminue de façon radicale à intervalles de sept à dix ans. Pendant ces périodes, on ne voit plus de rats musqués, ou alors très peu, là même où l’on en comptait des milliers, deux ou trois ans auparavant. Ces baisses catastrophiques de population sont souvent attribuées aux prédateurs ou au piégeage excessif. Cependant, les scientifiques ne croient pas que ce soit là les causes réelles des fluctuations. Ils estiment plutôt que, pour une raison encore inconnue, la santé des individus se détériore, entraînant une hausse de la mortalité ainsi qu’une baisse de la natalité pour l’ensemble de la population. Un ou deux ans plus tard, les taux de natalité et de mortalité reviennent à la normale et la population de rats musqués se reconstitue.
Le rat musqué contribue plus que tout autre mammifère au total des revenus combinés des trappeurs nord-américains. Vu la place importante qu’il occupe dans l’industrie de la fourrure, il a fait l’objet de recherches approfondies. Les premières études d’importance ont été menées par le Service canadien de la faune vers la fin des années 1940 dans le delta du Mackenzie, dans le Grand Nord, et dans le delta des rivières de-la-Paix-Athabasca, dans le Nord de l’Alberta. Pour que les mesures de conservation reposent sur une base scientifique solide, il faut absolument avoir une connaissance approfondie des besoins en habitats, du comportement alimentaire, de la reproduction, de la longévité, des causes de mortalité, des fluctuations à long terme de la population et, enfin, de l’influence de la température sur tous ces facteurs. L’unique ouvrage d’importance ayant contribué à notre compréhension de la biologie et de l’écologie du rat musqué a été publié (en anglais seulement) en 1963 sous le titre de Muskrat Populations. L’auteur, Paul Errington, y fait la compilation de ses nombreuses années d’études sur le rat musqué et des renseignements glanés sur cet animal partout en Amérique du Nord. Des études plus récentes menées dans l’Est du Canada et l’Est et le Centre des États-Unis ont accru notre ensemble de connaissances sur la dynamique et la gestion des populations de rats musqués.
Il existe deux grandes méthodes pour assurer la conservation des populations de rats musqués : la première consiste à améliorer l’habitat et la seconde à réglementer les prises commerciales des trappeurs. La méthode la plus fréquemment employée pour améliorer l’habitat consiste à construire, à des endroits stratégiques de cours d’eau et de décharges de lac, des digues destinées à maintenir un niveau d’eau de 1 à 2 m sur de grandes étendues. Ces conditions apparaissent parfois naturellement comme effet secondaire de la construction de barrages de castors.
La réglementation des prises commerciales se fait en fonction des populations existantes ainsi que des prévisions démographiques. On maintient habituellement les prises au plus haut niveau qu’il est possible d’atteindre sans porter préjudice à la taille des populations et aux prises futures.
Au Canada, l’avenir du rat musqué ne cause pas d’inquiétude. En dépit du piégeage intensif, des activités industrielles sans précédent et du drainage des marais à des fins agricoles, l’espèce n’a jamais été menacée au pays. Il y a de fait probablement autant de rats musqués de nos jours qu’il y en avait il y a mille ans.
Ressources
Ressources imprimées
BANFIELD, A.W.F. Les mammifères du Canada, 2e éd., Musées nationaux du Canada, Ottawa, 1977.
BEAUDIN, L., et M. QUINTIN. Guide des mammifères terrestres du Québec, de l’Ontario et des Maritimes, Waterloo (Québec), Éd. du Nomade, 1983.
LALONDE, H., J. PRESCOTT et P. RICHARD. Les mammifères du Québec et de l’est du Canada, 2 vol., Montréal, Éd. France-Amérique, 1982.
LALONDE, H. « Le rat musqué – Du trappage à votre porte », dans Québec Chasse et Pêche II, 1972, (nov.) : 38.
© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de l’Environnement, 1974, 1987. Tous droits réservés.
No de catalogue CW69-4/52-1987F
ISBN : 0-662-94134-9
Texte : M. Aleksiuk
Révision scientifique : G. Parker, 1986
Photo : Corel Photo Studio